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La possibilité pour l’individu d’être à la fois sujet et objet de sa propre connaissance implique que soit inversé dans le savoir le jeu de la finitude.
Pour la pensée classique, celle-ci n’avait d’autre contenu que la négation de l’infini, alors que la pensée qui se forme à la fin du XVIIIe siècle lui donne les pouvoirs du positif: la structure anthropologique qui apparaît alors joue à la fois le rôle critique de limite et le rôle fondateur d’origine. C’est ce retournement qui a servi de connotation philosophique à l’organisation d’une médecine positive; inversement, celle-ci, au niveau empirique, a été une des premières mises au jour du rapport qui noue l’homme moderne à une originaire finitude. De là, la place déterminante de la médecine dans l’architecture d’ensemble des sciences humaines: plus qu’une autre, elle est proche de la disposition anthropologique qui les soutient toutes. De là aussi son prestige dans les formes concrètes de l’existence: la santé remplace le salut, disait Guardia. C’est que la médecine offre à l’homme moderne le visage obstiné et rassurant de sa finitude; en elle la mort est ressassée, mais en même temps conjurée; et si elle annonce sans répit à l’homme la limite qu’il porte en soi, elle lui parle aussi de ce monde technique qui est la forme armée, positive et pleine de sa finitude.
☛ Naissance de la clinique by Michel Foucault Paris: Presse Universitaire de France, 1963, pp. 201-203. In the Routledge Classics edition (The Birth of the Clinic, 2003), see p. 244 (that’s a reedition of Allan Sheridan’s translation, New York: Pantheon, 1973).
This entry documents where Foucault made use of the quote “la santé remplace le salut” (“health replaces salvation”), where he most likely found it (in Georges Canguilhem’s doctoral thesis), and where it originated in the first place (a book by the physician and historian of science José Miguel Guardia).
Foucault used this quote more than once. For example, he also mentioned it during a discussion that followed the lecture he gave at the Seventh International Philosophical Colloquium of the Cahiers Royaumont, in July 1964, which was later published as “Nietzsche, Freud, Marx”. Here’s how it originally appeared in the “Proceedings” published in 1967:
Je pense en effet que le sens de l’interprétation, au XIXe siècle, s’est certainement rapproché de ce que vous entendez par thérapeutique. Au XVIe siècle, l’interprétation trouvait plutôt son sens du côté de la révélation, du salut. Je vous citerai simplement une phrase d’un historien qui s’appelle Garcia: «de nos jours –dit-il en 1860– la santé a remplacé le salut». (Paris: Minuit, p. ; in the Dits et Écrits, this text is the item no. 46)
“Garcia” is most likely an error of transcription, and the year 1860 may not be accurate. Foucault once more used the quote about health and salvation while answering questions from readers of the French journal Esprit in 1968:
Première hypothèse: c’est la conscience des hommes qui s’est modifiée (sous l’effet des changements économiques, sociaux, politiques); et leur perception de la maladie s’est trouvée, par le fait même, altérée: ils en ont reconnu les conséquences politiques (malaise, mécontentement, révoltes dans les populations dont la santé est déficiente); ils en ont aperçu les implications économiques (désir chez les employeurs de disposer d’une main-d’oeuvre saine; désir, chez la bourgeoisie au pouvoir, de transférer à l’État les charges de l’assistance); ils y ont transposé leur conception de la société (une seule médecine à valeur universelle, mais avec deux champs d’application distincts: l’hôpital pour les classes pauvres; la pratique libérale et concurrentielle pour les riches); ils y ont transcrit leur nouvelle conception du monde (désacralisation du cadavre, ce qui a permis les autopsies; importance plus grande accordée au corps vivant comme instrument de travail; souci de la santé remplaçant la préoccupation du salut). (“Réponse à une question”, Esprit, no 371, mai 1968, pp. 850-874; in Dits et Écrits, this text is item no. 58)
It is possible –if not likely– that Foucault picked the quote from Georges Canguilhem’s dissertation, first published in 1943 (a second, augmented edition was published in 1966 as Le normal et le pathologique). Canguilhem had a significant influence on Foucault’s work –as Foucault aknowledge himself on numerous occasion in his text “Réponse à une question” quoted above. Canguilhem was also the supervisor (“rapporteur”) for Foucault’s doctoral thesis (“thèse majeure du doctorat d’État”), Folie et déraison: Histoire de la folie à l’âge classique, which was first published in 1961 (Paris: Plon).
In Canguilhem’s thesis from 1943, titled Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique, one can read what follows:
En cette théorie se fait jour, tout d’abord, la conviction d’optimisme rationaliste qu’il n’y a pas de réalité du mal. Ce qui distingue la médecine du XIXe siècle, surtout avant l’ère pastorienne, par rapport à la médecine des siècles antérieurs, c’est son caractère résolument moniste. En dépit des efforts des iatromécaniciens et des iatrochimistes, la médecine du XVIIIe siècle était restée, par l’influence des animistes et des vitalistes, une médecine dualiste, un manichéisme médical. La Santé et la Maladie se disputaient l’Homme, comme le Bien et le Mal, le Monde. C’est avec beaucoup de satisfaction intellectuelle que nous relevons dans une histoire de la médecine le passage suivant: «Paracelse est un illuminé, Van Helmont, un mystique, Stahl, un piétiste. Tous les trois innovent avec génie, mais subissent l’influence de leur milieu et des traditions héréditaires. Ce qui rend très difficile l’appréciation des doctrines réformatrices de ces trois grands hommes, c’est l’extrême difficulté qu’on éprouve quand on veut séparer leurs opinions scientifiques de leurs croyances religieuses… Il n’est pas bien sûr que Paracelse n’ait pas cru trouver l’élixir de vie; il est certain que Van Helmont a confondu la santé avec le salut et la maladie avec le péché; et Stahl lui-même, malgré sa force de tête, a usé plus qu’il ne fallait dans l’exposé de La vraie théorie médicale, de la croyance à la faute originelle et à la déchéance de l’homme» [48, 311]. Plus qu’il ne fallait! dit l’auteur, précisément grand admirateur de Broussais, l’ennemi juré, à la naissance du XIXe siècle, de toute ontologie médicale. Le refus d’une conception ontologique de la maladie, corollaire négatif de l’affirmation d’identité quantitative entre le normal et le pathologique, c’est d’abord peut-être le refus plus profond d’avérer le mal. (Clermont-Ferrand: Impr. “La Montagne”, 1943, p. 58; the quote appears in Part One, Section V: “Les implications d’une théorie”)
The number “48” which follows the long quote used by Canguilhem is a reference to the bibliography at the end of his book, while “311” is the relevant page in the document being referenced. In this case, the reference points towards Histoire de la médecine d’Hippocrate à Broussais et ses successeurs by José Miguel Guardia (Paris: Octave Doin, 1884). A digitized copy of the entire book is hosted at the Internet Archive. A screenshot of the quote used by Canguilhem can be found below.
José Miguel Guardia (1830-1897) was a prolific physicians, philosopher and science historian. The Proyecto Filosofía en español has an exhaustive bibliography of his work, along with a detailed biographical commentary (all in Spanish). Wikipedia has a short entry in Catalan. Many of the work he published can be found at the BNF’s Gallica website. In 1861, he wrote a short essay on madness titled De l’étude de la folie (Paris: J.B. Baillère et Fils), but Foucault makes no mention of it in his massive dissertation (nor does he mentions Guardia).
Although the form used by Foucault is not exactly the same as the one we found in Guardia, the general argument is maintained from one author to the other (Guardia, Canguilhem, Foucault): there was, at the end of the 18th century and the beginning of the 19th century, a significant transformation in the way medicine would consider death. Instead of being apprehended as a foreign phenomenon –through a fondamental separation– death comes to be recognized as an essential part of human life in general, and of the biological body in particular. This is what allows Canguilhem to write that the “nineteenth-century medecine […] is resolutely monist in character” (The Normal and the Pathological, tr. by Carolyn R. Fawcett, New York: Zone Book, 1991, p. 103). With Foucault, this aspect is linked to the crucial concept of finitude which plays an important role in the works of Nietzsche, Heidegger, Blanchot and others.
Thus, it is not simply about salvation of souls being replaced by physical health. More importantly, it is about a dichotomy –between this earthly world and the “afterlife”– being lifted by a science of life that emerges at the same time as a science of death. This transformation will eventually be further developed by Foucault in his conception of “biopolitics”.
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